Singapour, la ville du lion
Singapour, la ville du lion
C’était, sans que je le sache dans la fièvre de la prime adolescence, l’Orient extrême dont je rêvais. Les récits de voyage, les photographies d’îles couvertes de palmes, d’architectures étranges et où se rencontraient des peuples différents, m’ont fait dériver très tôt vers les rivages d’un ailleurs par-dessus tout asiatique. J’imaginais la vie coloniale, ou celle qu’il devait être possible de s’inventer dans ces royaumes si séduisants — le Siam, le Cambodge, les États malais… —, j’imaginais avec volupté le soupçon de fraîcheur dispensé avec parcimonie dans la nuit chaude, moite et parfumée des tropiques, par un ventilateur dont, au plafond, le halètement las semble se plaindre des cris, coassements et grincements de la jungle… tandis qu’un boy charmant et dévoué veille sur vos moindres désirs. J’avais l’âge de croire à l’exotisme sans savoir ce que cela veut dire ou, plutôt, ce que ce mot travestit. Lorsque j’eus le bonheur, tant d’années plus tard, bien tard ! de vivre de facto un peu de mes rêves de teenager en herbe, j’en retrouvai, inaltéré, avec la secrète émotion du passager de ma vie que je n’ai pas cessé d’être, tout l’enchantement supposé. Un enchantement sensoriel, sensuel, riche d’affinités et traversé d’obscures interrogations. L’histoire, l’imaginaire, l’ironie — la fantaisie —, composent ce portrait d’une ville dont Claude-Michel Cluny écrit qu’elle est à ses yeux le symbole d’un monde qu’il avait vu s’effondrer et celui « de l’illusion créatrice d’un monde nouveau. »
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