L’Âme de l’Inde

Il aura fallu un quart de siècle pour que l’Âme de l’Inde, l’essai magistral d’Amaury de Riencourt, connaisse enfin une version française, remaniée et complétée pour l’occasion. Car, paradoxe pour paradoxe, cet historien peu conformiste pétri de culture et de traditions françaises, qui s’impose par une remarquable érudition et une insatiable curiosité, écrit en anglais.
Le pari de l’auteur, celui de l’historien et du philosophe, tenait d’emblée de la gageure : remettre l’Inde dans sa perspective historique, c’est-à-dire remettre ce continent, qui est aussi l’une des grandes civilisations fondatrices de l’humanité, dans son contexte — caractérisé précisément par une horreur viscérale de l’histoire. Plus d’un se serait laissé rebuter par l’énormité de l’engagement. Pas Amaury de Riencourt, à qui ses vastes connaissances permettent d’aller à l’essentiel et de dégager les lignes de force d’une évolution plurimillénaire, vues par le prisme d’un ensemble de cultures parfois contradictoires, mais néanmoins cohérentes.
Des parallèles avec l’Occident et des comparaisons, notamment avec le monde chinois, éclairent la vision du lecteur occidental, souvent habitué à d’autres concepts et facilement désarçonné par l’effervescence indienne. Au fil des pages, la lecture devient vite passionnante, une fois que l’esprit s’est familiarisé avec le parti pris de l’auteur. Une remarquable clarté d’écriture donne parfois l’impression de plonger dans une fresque aux personnages multiples, qui soudain se détachent un instant d’un halo de légende — acteurs d’un jeu infini toujours renouvelé, repris et inlassablement recommencé, à la manière justement de la vertigineuse image du temps patiemment élaborée par les penseurs de l’Inde.
Cependant, si l’Inde des mythes et des légendes explique en partie l’Inde d’aujourd’hui, Amaury de Riencourt n’oublie pas la réalité des déchirements qu’enfante l’approche du monde moderne. Non content d’avoir rencontré les pères de l’indépendance et suivi de près les étapes de la décolonisation, du détachement du Raj, puis de la naissance de l’Inde moderne, il a également poursuivi le dialogue avec leurs successeurs, qui assument la tâche de parfaire l’entreprise.